
Philippe Meirieu, le célèbre pédagogue, disait, ainsi, qu’il fallait feindre de s’intéresser à Harry Potter - avant d’asséner à l’élève la vérité que c’était très inférieur à Homère! L’élève, pris par surprise, ne réagit pas; mais que peut-on penser de ce qu’il ressent à long terme?
Il n’est du reste pas vrai que l’enseignement catholique ait été seulement répressif. Dans la Savoie d’autrefois, il déployait un tel luxe d’images flamboyantes, nourries de François de Sales et de Thomas d’Aquin, qu’aucun conflit n’existait dans l’éducation: le peuple acceptait ce qui lui était ainsi enseigné. Si les images d’Homère sont plus fortes que celles de J. K. Rowling, feindre de s’intéresser à cette dernière est simplement du temps perdu; si ce n’est pas le cas, on n’a pas démontré qu’il lui était supérieur! L’élève ressent les choses de cette manière: peu importe le statut officiel!
Il est vrai que, de toute manière, le catholicisme, en France, a tendu à la sécheresse, et qu’il fallait certainement s’armer pour imposer ses vérités. D’où, probablement, les conflits qui y ont existé, et que la Savoie ne connut pas: à la Restauration, on y était au fond heureux de retrouver les vieux symboles, qui avaient tant parlé au cœur, et que conservaient les décors baroques des églises. Le rationalisme imposé sous Napoléon avait eu besoin, lui aussi, du régime militaire pour pénétrer les esprits; mais Stendhal atteste que les prêtres savoyards n’étaient pas dans ce cas: proches du peuple, ils savaient lui parler.
Sans doute, cet enseignement manquait de base scientifique; car même si on postulait que la nature manifestait l’esprit de son auteur, on ne l’étudiait guère: cela restait virtuel. On en restait à la science morale. Il en allait bien autrement en Allemagne, avec Goethe, Schelling, les philosophes de la nature. Mais à cet égard, les prêtres savoyards restaient timorés; ils n’avaient pas l’esprit d’aventure des protestants. Même Genève avait donné naissance à Charles Bonnet; bien ou mal, Joseph de Maistre ne parlait que de science politique.
C’est par là, sans doute, que le rationalisme en France pouvait apparaître, de façon simpliste, comme supérieur à l’enseignement moral catholique. Lui pénétrait la nature, pratiquait la science. Il était son exact opposé. Malheureusement, il laissait l’élève en dehors de ce qu’il énonçait, comme jadis le catholicisme rationalisé de Bossuet. Car Fénelon avait été chassé - et avec lui les ultimes tentatives de représenter poétiquement les vérités morales. La répression devenait le seul recours.